Motus et bouche cousue

Battue à plates coutures par la Covid, je me sens prête à en découdre avec toutes ces règles sanitaires. Le port du masque ressemble à un véritable fil à la patte et les mesures successives finissent par être cousues de fil blanc. J’ai constamment le sentiment qu’il me faut filer droit avec le doigt sur la couture du pantalon.

Ce n’est pas du coton tout ça !

Au fil du temps, je me suis adaptée à cette situation planétaire. Cette quête au vaccin qui semblait chercher une aiguille dans une botte de foin voire sortir de cette crise en tentant de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille ! J’ai l’impression de vivre sur le fil d’un rasoir, d’avoir perdu le fil d’Ariane et de me laisser porter au fil de l’eau.

Je pensais que le virus ne ferait qu’un pli… mais la Covid n’a pas fait dans la dentelle ! J’ai beau lui tailler un costume, c’est elle qui finalement nous a habillés pour l’hiver !
On ne va pas se mentir, passementerie devrais-je écrire !
Plus rien ! Plus de café en terrasse, plus de dîner au restaurant entre copains, plus de concerts, plus de théâtre, plus de cinéma … à en regretter le bruit du pop-corn et l’odeur des frites plongées dans une huile trop grasse.

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De fil en aiguille, j’ai eu besoin de concret.
J’ai lâché mon mac pour ressortir ma MAC Singer. Après m’être tant faufilée entre les mailles du virus, je me suis mise à faufiler mes bouts de tissu sans me soucier de leur lisière. Surfiler, surpiquer, surjeter, je me suis perdue dans le point de croix, le passepoil et les biais. Mal emmanchée, sans aucun patron, j’ai cousu comme j’ai pu deux morceaux de tissus entre lesquels j’ai glissé un voile de coton. Un élastique et le tour était joué. J’avais mon masque fait maison sans les règles de l’art, ni les bonnes dimensions.

Essayage. Élastique trop court, tissu trop glissant, mon masque me rend muette et marque mes joues comme les plis de l’oreiller au lever du lit.

C’est à ce moment-là que la sonnerie a retenti ! « Tu attends quelqu’un ? Entrez ! »
Tirée à 4 épingles, notre voisine, une charmante sexagénaire dynamique en chômage partiel depuis six mois, est en panne de fil blanc. Du tergal de préférence, précise-t-elle. Mes grands yeux ronds lui en disent longs sur ma compétence en couture. Je lui donne tout. Les tissus, les fils, les galons et même l’élastique. « Vous voulez aussi ma MAC ? »… Elle ressort de chez nous les bras chargés comme d’une caverne d’Ali Baba en criant « non, je suis sur PC, c’est gentil ! ».
Aujourd’hui, dans la boîte aux lettres, il y a un petit paquet. Je n’ai rien acheté par clic de souris depuis deux semaines. Dans un papier de soie froissé, je découvre un masque fait maison sur lequel ma voisine a brodé : « Des mains qui créent sont des mains qui pensent, alors continuez à faire penser vos mains ! »

Assise en tailleur sur la terrasse, je regarde le soleil. Je réalise que nous sommes en avril et qu’il ne faudra pas se découvrir d’un fil.

Paula Serrajent