Juin enfin !
Rien n’a disparu mais tout semble renouvelé. La traversée de quelques petites villes et villages pour retrouver physiquement quelques proches m’a fait du bien. Terrasses de café remplies, rues animées, boutiques ouvertes, balcons fleuris… sous le soleil un peu faible, la vie reprend son cours.
Au rond-point, un cycliste a râlé sur un automobiliste trop pressé qui lui a coupé la route. Ça m’a fait sourire.
À la boulangerie, une dame a flâné longtemps devant le rayon pâtisserie, hésitant entre tarte aux fraises et gâteaux individuels. Ça m’a fait sourire.
Au restaurant, sous un parasol orange, une table d’amis a applaudi quand le serveur a apporté les assiettes de coquillages tant attendues. Ça m’a fait sourire.
Sur un banc, trois jolies mamies parlaient haut et laissaient entendre qu’elles se sentaient désormais fortes et solides, la première déclarant fièrement avoir déjà reçu sa deuxième dose. Ça m’a fait sourire.
Et puis, tout a basculé.
En quelques minutes, la place est devenue déserte. Les voitures se sont envolées. Les gens ont disparu. Les rideaux des derniers cafés et restaurants se sont baissés. Ça m’a rendue triste.
Le soleil se couchait sur le village éteint où j’avais loué une chambre chez l’habitant. Dans la grande bibliothèque accessible aux touristes hébergés, divers Bulletins de la Société de géographie commerciale de Bordeaux trônaient entre les œuvres de Mauriac et Montesquieu. Editées au début du XXe siècle, leurs pages jaunies relataient les découvertes de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, officier de la marine et philosophe de la non-violence. D’origine italienne, il sera naturalisé français en 1873. Durant ses missions, il n’aura de cesse de dénoncer la domination des intérêts privés au dépend de la population colonisée. Une telle attitude ne pourra qu’attirer des inimitiés et du dénigrement.
Vulgarisateur, auteur de nombreux articles et organisateur de réunions publiques, il sera nommé commissaire général du Congo français et s’initiera à la franc-maçonnerie qu’il quittera 15 ans plus tard invoquant ses responsabilités dans la gestion des zones africaines colonisées. Le rapport Brazza rédigé au début du XXe siècle dénonce les conditions de vie au Congo français, les influences de l’intérêt privé dans la politique coloniale et les sévices infligés aux habitants. Dérangeant et provocateur, ce rapport ne sera porté à la connaissance du public qu’en… 2014. Si les illustrations sépia et les vieux clichés photographiques montrent combien les expéditions d’antan étaient portées par des gens courageux, les livres et les articles rappellent que la censure a toujours existé.
Désormais, en marchant en bord de Garonne, et, demain, en déambulant dans le nouveau quartier Bordeaux Brazza auquel l’Echo consacre son dossier du mois, mes pas me rappelleront l’histoire de Pierre Savorgnan de Brazza qui reçut à des degrés variés les honneurs de son vivant.
La plus jolie marque de reconnaissance, à mes yeux, est celle d’une entreprise anglaise à la fin du XIXe, qui fabriqua une plume métallique dédiée à l’écriture « Plume de Brazza » avec le portrait de l’explorateur sur la boîte. Ça m’a fait sourire.
Joli juin à tous,
Paula Serrajent